CFP | Dissonance, éclectisme et mélange des genres dans la culture anglophone moderne et contemporaine

JOURNÉE D’ÉTUDES, 13 AVRIL 2018,

UNIVERSITÉ DE REIMS-CHAMPAGNE-ARDENNE (URCA)

Dans le cadre du séminaire « cultures populaires »

Propositions à envoyer avant le 1/12/2017 à sylvie.mikowski@univ-reims.fr et yann.philippe@univ-reims.fr

«  Dissonance, éclectisme et mélange des genres dans la culture anglophone moderne et contemporaine  »

Depuis une vingtaine d’années, les sociologues de la culture de part et d’autre de l’Atlantique, et à partir de positions théoriques fort diverses (Peterson, Di Maggio, Holt, Lahire, Glevarec, Coulangeon), ont mis en évidence que la participation à des registres culturels très divers, de quelque façon qu’on désigne le phénomène (éclectisme, omnivorisme, dissonance selon les auteurs) ne constitue pas un phénomène exceptionnel, mais courant, voire banal. On retrouve chez de très nombreux individus, de groupes sociaux divers, la coexistence ou l’alternance de pratiques, de préférences ou de consommations culturelles relevant de formes de cultures dites légitimes ou populaires. L’effondrement de la hiérarchie entre « haute » culture légitime et « basse » culture de masse et plus encore la disparition de l’association étroite entre hiérarchie culturelle et hiérarchie sociale serait même ce qui caractériserait la société contemporaine, voire la condition post-moderne.

Du fait de la dilution de la légitimité classique, la légitimité culturelle a pris des formes très diverses. Dans les élites culturelles et intellectuelles, il est ainsi devenu plus important d’aimer des objets culturels différents ou différenciés que de se limiter à la seule palette des objets légitimes. Au « snobisme intellectuel » (ou au purisme ascétique) s’opposerait désormais « l’omnivorisme », catégorie inventée par le sociologue Richard A. Peterson[1]. De manière plus large, la culture est appréhendée comme un moyen de se conformer ou de se différencier : vis-à-vis des autres groupes sociaux ou générationnels, mais aussi de ses pairs sociaux voire de soi-même en adoptant des pratiques contradictoires ou « dissonantes » pour reprendre la formule de Bernard Lahire[2]. Tous les genres culturels ou presque ayant désormais acquis leurs « lettres de noblesse » (de la bande dessinée à la chanson pop/rock/rap ou à la télévision) peuvent faire l’objet d’un investissement privilégié, ouvrant ainsi la voie à la re-création de hiérarchies internes aux genres et à de nouvelles formes de distinction entre individus.

L’objet de cette journée d’études est d’interroger les possibilités ainsi ouvertes par les acquis de la sociologie culturelle aux autres disciplines, notamment celles (civilisation, littérature, histoire) traditionnellement attachées à des aires culturelles (anglophone notamment) et plus ouvertes au syncrétisme théorique que la sociologie. La problématique du mélange des genres constitue-elle une approche permettant d’appréhender la culture dans son ensemble ? C’est ce que nous nous proposons de déplier pendant cette journée d’études, en s’attachant à la fois au point de vue des consommateurs, des créateurs et des créations culturelles. Les communications pourront ainsi porter sur trois volets distincts :

– l’évolution des pratiques culturelles et des goûts dans le monde anglophone, à la lumière notamment des travaux sociologiques, mais aussi de l’apparition de nouvelles pratiques culturelles, tout particulièrement celles reposant sur les usages du numérique. L’analyse pourra ainsi porter sur le très contemporain, notamment le rôle du numérique dans la diversification et l’évolution des pratiques culturelles. Mais elle pourra aussi donner une profondeur historique aux phénomènes. Y a-t-il ainsi une histoire longue de l’éclectisme ou des dissonances culturelles ou ceux-ci doivent-ils nécessairement être limités aux pratiques ultra-contemporaines ? Les études comparatives visant à mesurer précisément le caractère précurseur de la culture anglophone dans l’érosion des hiérarchies culturelles sont également bienvenues.

– la dissonance appréhendée du côté des créateurs : est-elle un phénomène récent au même titre que celui des pratiques éclectiques ou est-elle un aspect constitutif de la création artistique ? En quoi les créateurs et artistes participent-ils du brouillage entre culture « high » et « low », « légitime » et « illégitime »? On pourra prendre des exemples en littérature, dans les arts visuels, dans la musique et le cinéma. On pensera par exemple à des auteurs écrivant à la fois pour les adultes et pour la jeunesse, ou passant de l’écriture d’œuvres romanesques à celle de scénarios pour le cinéma ou la télévision ; de musiciens pratiquant à la fois musique « savante » et « musique populaire »; à des cinéastes tournant pour la télévision; à des auteurs prenant un pseudonyme pour s’essayer à un genre « illégitime » (policier, érotique, sentimental, etc), soit de façon sérieuse, soit de façon parodique.

– le troisième volet sera davantage réflexif et concernera les pratiques de l’élite intellectuelle, à laquelle sont rattachés chercheurs et universitaires : en quoi les pratiques « omnivores » de cette catégorie influent-elles sur le brouillage des genres et font-elles passer certains objets culturels du statut d’illégitime à celui de légitime ? Dans quelle mesure les chercheurs, théoriciens et critiques littéraires ou artistiques sont-ils devenus « omnivores »? Comment s’opère le processus de légitimation ? Quels en sont les effets sur les objets culturels et sur leur réception ? N’y-a-t-il pas reconstitution d’une hiérarchie entre les pratiques culturelles selon des critères de goûts qui seraient non pas effacés mais seulement déplacés ? Enfin quelle est la part jouée par l’enseignement dans ces mutations ? Le souci de s‘adapter aux pratiques culturelles réelles des étudiants vient-il modifier les disciplines ? N’est-ce pas souvent la pédagogie qui anticipe sur la recherche ?